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Dominique Demers est une auteure québécoise. Elle a
écrit ce texte à l'occasion de l'ouverture du Salon du livre de Montréal
dont elle était le porte-parole. Nous la remercions de nous avoir
autorisés à le reproduire.
A propos de Dominique Demers
"Pour être stimulant, il
faut être stimulé. Un bon pont vivant, c'est
quelqu'un de passionné. Pour qu'un adulte transmette le goût de lire, il
doit d'abord avoir lui-même découvert (ou redécouvert ) le bonheur de
lire. C'est vrai pour les parents, comme les libraires, les
bibliothécaires et les professeurs" |
Faisons-nous tout ce qui est
en notre pouvoir pour qu'ils découvrent le bonheur de lire et
s'épanouissent comme lecteurs? Face à la négligence, au mépris, aux
habitudes et à l'élitisme, ces petites réflexions, trucs et secrets
méritent d'être rappelés
Dix secrets pour aimer
lire
1. La lecture, c'est comme
l'amour! Tout le monde peut aimer... et tout le monde peut
aimer lire. Mais pas nécessairement la même personne... ou le même livre.
Les jeunes qui disent ne pas aimer lire n'ont simplement pas encore trouvé
un premier coup de coeur, un livre qui les étonne, les émeut, les
questionne, les fait rire, les vire à l'envers. Un livre qui leur fait
découvrir que lire rend heureux.
2. Les livres «drabes» sont plus
dangereux que les livres cochons Le plus dangereux pour un
enfant n'est pas de lire le mot «fesse» dans un livre mais de se retrouver
avec un livre «drabe» entre les mains. Un livre qui ne dérange rien et ne
réinvente rien. Le critère de sélection le plus important en littérature
pour enfants et adolescents est l'intensité. Les enfants et les
adolescents sont des êtres terriblement intenses. Lorsqu'ils tombent deux
ou trois fois de suite sur un livre ordinaire ou franchement plate, ils
décident que la télé leur plaît, de même que le cinéma, l'Internet et le
Super Nintendo, mais les livres, c'est pour les autres.
3. Diversité et accessibilité: sans
eux point de salut Pour trouver son livre coup de coeur, un
jeune doit avoir accès à une diversité de propositions sans trop faire
d'efforts puisqu'à prime abord il n'est pas encore convaincu. Très peu de
jeunes Québécois ont réellement et facilement accès à une bonne variété de
livres pour tous les goûts. Les bibliothèques scolaires, au primaire du
moins, sont de vieux navires sans capitaine et à l'heure de la Grande
Bibliothèque, la majorité des citoyens sont mal desservis dans leur ville
ou dans leur quartier. La littérature jeunesse a connu un formidable
essor. Elle offre déjà, présentement, un bon choix de livres pour tous les
goûts. Tous les enfants et les adolescents peuvent trouver leur livre coup
de coeur sur un rayon quelque part. Mais encore faut-il que ces livres
soient facilement accessibles.
4. Il faut prendre les jeunes où ils
sont (et non où l'on voudrait qu'ils soient) On ne commence
pas à aimer lire avec Balzac. Pour qu'un enfant ou un adolescent aime
lire, il faut le cueillir là où il est, avec ses intérêts, ses fantasmes,
ses peurs, ses curiosités et ses habiletés de lecture. Pas le prendre où
l'on voudrait qu'il soit. Le prendre où il est VRAIMENT. Nous vivons
malheureusement à une époque de grande pression pour la performance.
Pour décrire cette triste réalité, les sociologues américains ont
inventé le terme «hurried child», l'enfant qu'on pousse à grandir vite.
Quand vient l'heure de la lecture autonome, la pression est forte. Tous
les parents souhaitent pouvoir offrir un livre pour les huit ans et plus à
leur fils ou à leur fille de six ans. C'est dommage! Pour aimer lire, il
faut y trouver du plaisir. Et pour ça, il faut un livre à notre mesure. De
toute manière, de nombreux gros romans sont simplement épais et d'immenses
chefs-d'oeuvre tiennent dans de toutes petites plaquettes.
5. Il n'y a pas de bons et de mauvais
livres Les adultes ont tendance à condamner une foule de
livres que les jeunes adoptent spontanément: romans d'épouvante, bande
dessinée, romans d'amour en série. «Lis pas ça!» C'est «bas de gamme»,
«nul», «pas intelligent», «mal écrit»... En êtes-vous sûr? Chose certaine,
le dire ainsi permet simplement de couper tous les liens avec le
jeune. Anne-Sophie lit des romans d'amour en série? Au lieu de lui dire
que c'est moche, pourquoi ne pas s'intéresser à ses goûts et en profiter
pour lui proposer un roman d'amour qui ouvre plus de fenêtres sur le
monde. Cassiopée ou l'été polonais de Michèle Marineau, par exemple,
prix du Gouverneur général et livre coup de coeur selon le vote des
jeunes.
6. Les livres ne doivent pas être
sexistes, mais la lecture l'est Si tant de petits garçons ne
lisent pas, c'est peut-être en partie parce que l'univers des livres est
profondément féminin. Les enseignants du primaire comme les bénévoles de
la bibliothèque scolaire sont à 90% des femmes. Le choix de livres peut-il
être moins adapté aux petits garçons? Toutes les recherches démontrent que
les goûts de lecture des filles et des garçons sont différents. Ainsi, la
majorité des gars s'ennuient à lire des romans d'amour et les filles sont
moins sensibles à la science-fiction. Le discours officiel en faveur de
la lecture fait la promotion de la fiction. Or, la plupart des jeunes
lecteurs masculins sont captivés par les livres de non-fiction, le
documentaire par exemple. Ces ouvrages peuvent être de très grande
qualité, extrêmement bien écrits et fort intelligents. De nombreux petits
garçons ont découvert le plaisir de lire avec le fameux Livre des records
Guinness. Et pourquoi pas? Ce qui compte, c'est de continuer de les
alimenter après leurs premiers coups de coeur afin qu'ils s'épanouissent
encore davantage.
7. Les jeunes sont très sensibles au
plaisir des mots Je me souviendrai toujours de Marie-Ève, 13
ans, qui dans sa lettre à un écrivain confiait: «Jamais de ma courte vie,
je n'aurais cru les mots si puissants.» La plupart des jeunes sont
extrêmement sensibles au pouvoir des mots. Ils écrivent secrètement de la
poésie, se confient à un journal, sont émus par la musicalité d'un texte.
Selon un sondage mené il y a une dizaine d'années, leur écrivain préféré,
après Stephen King et Lucy Maud Montgomery, était... Émile Nelligan! Mais
pour être sensible au pouvoir des mots, encore faut-il réunir quelques
conditions minimales. Je me considère une lectrice passionnée et gourmande
mais ce que je lis d'important, je le lis au lit avec trois
oreillers. Est-ce possible que les jeunes soumis à une période de
lecture obligatoire à l'école tous les jours entre 12h50 et 13h05 passent
à côté du pouvoir des mots? Seriez-vous capable de lire sur une chaise
droite en rentrant de récréation essoufflé?
8. Il faut absolument faire vivre la
lecture Il existe des lieux (bibliothèques, salles de
classe, salons) où de bons livres pour tous les goûts sont facilement
accessibles et pourtant, les livres restent sur les rayons. Ce qu'il
manque? L'animation. Récemment, je mentionnais à la bibliothécaire d'une
polyvalente que je visite depuis des années que j'avais remarqué une
baisse de motivation en lecture lors de mes dernières rencontres. Elle
a avoué en rougissant qu'avec les dernières coupures, elle n'avait plus le
temps d'animer le livre auprès des jeunes. Le résultat avait été immédiat.
Baisse de motivation. Ce n'est qu'un exemple parmi des milliers. Les
interventions les plus efficaces auprès des jeunes sont parfois les plus
simples. Des exemples? Lire devant eux, leur faire la lecture à haute voix
même lorsqu'ils sont capables de lecture autonome, discuter des livres
qu'ils aiment, leur parler des livres qu'on aime, fréquenter les
librairies, les bibliothèques, les salons du livre...
9. Le plus important: des ponts
vivants! Il y a une dizaine d'années, j'ai effectué ma
première tournée d'écoles à titre d'écrivain. Ce qui m'avait le plus
abasourdie dans cette tournée, c'était de découvrir que dans un même
quartier, deux écoles pouvaient être aussi différentes. Concrètement, il y
avait des écoles où les enfants lisaient beaucoup (c'est ce qui
m'intéressait) et d'autres où on ne lisait pas. Dans un même quartier,
alors que les enfants provenaient d'un même milieu socio-économique, la
réalité, à quelques coins de rue d'écart, était parfois totalement
différente. Qu'est-ce qui faisait qu'avec les mêmes budgets, la même
clientèle, les mêmes programmes, d'un côté ça marchait et de l'autre ça
foirait? Ce qui changeait, c'est les gens! Les bons livres existent. Il
faut continuer à en publier, mais le plus important, présentement,
c'est... les ponts vivants, ceux qui font le lien entre les enfants et les
livres: parents, personnel de bibliothèque, enseignants, libraires,
animateurs…
10. Pour être stimulant, il faut être
stimulé Un bon pont vivant, c'est quelqu'un de passionné.
Pour qu'un adulte transmette le goût de lire, il doit d'abord avoir
lui-même découvert (ou redécouvert ) le bonheur de lire. C'est vrai pour
les parents, comme les libraires, les bibliothécaires et les professeurs.
Un bon pont vivant c'est aussi quelqu'un d'outillé et d'informé. Or, la
majorité des enseignants, au primaire comme au secondaire, n'ont jamais eu
de formation en littérature jeunesse ni en animation de la lecture. Tous
les médiateurs devraient avoir accès à des outils, des informations et de
la formation, de manière simple et accessible, afin de bien jouer leur
rôle. La meilleure politique de la lecture doit permettre à tout le monde
de bien jouer son rôle. Tout de suite. Maintenant. Facilement. Et sans que
ça coûte une fortune. Mais encore faut-il que tous les jeunes aient
clairement accès à des livres. À l'aube de ce troisième millénaire l'accès
aux livres ne devrait-il pas déjà être une réalité?
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