Genève - Chicoutimi
Sur une carte, c'est une rigolade. Lorsque l'avion survole l'océan, il est temps de se dire que de le faire en bateau ou à la nage prendrait et prenait du temps.
Chicoutimi c'est l'endroit le plus au Nord que je connaisse et la peur de finir sous des montagnes de neige m'a pris le ventre dès que je suis descendu de l'avion. De la neige, de la neige à perte de vue, de la neige comme si tout le stock du monde était là et que les stations de ski valaisannes n'en ont pas, faute d'avoir payé leurs dernières factures. De la neige et un soleil encore un peu timide, caché sous de gros nuages, comme des couettes remplies de neige.
Le premier jour, en voyant que les enfants de Chicoutimi ne sont pas de géants prêts à se défendre au couteau contre un grizzly, je souffle un peu. Je respire à fond maintenant que je sais qu'ils ne viennent pas à l'école avec des peaux d'animaux sur le dos ni des raquettes aux pieds. Ils ont aussi des petits bureaux, des tableaux noirs ( qui ici sont verts ) et des enseignants qui sont bien parvenus jusqu'à l'école malgré la neige. Je me suis complètement rassuré en me disant que si je suivais les enfants, je ne finirais pas sous des mètres de neige malgré le fait que depuis une semaine, je n'ai toujours pas trouvé les trottoirs. Mais je n'ai pas creusé.
Dans les classes, on peut enlever une couche ou deux, sans risque de mourir gelé, et les yeux des gosses sont des grosses bûches qui brûlent dans la cheminée. Passé les premières peurs, il faut arriver à se comprendre. L'accent ici est terrible. Les mots ne sont pas les mêmes et on ne traîne pas sur les mêmes syllabes. Maudite grammaire, les fautes sont les mêmes en québécois qu'en français.
Mais heureusement, les mioches de l'école Vanier ne font pas la baboune et en cherchant bien, j'ai trouvé quelques poches et pas trop de têteux.
Maintenant, alors que chez moi tout le monde dort, faut que je parle, faut pas être dôle ou plate parce qu'ici, très vite on préfère faire un
party. Alors on parle, questions, réponses. Les mots partent comme des fusées, des fois on ne se comprend pas bien mais il y a le fun comme ils disent ici, les poches de Chicoutimi.
On parle beaucoup. On parle des livres. On parle plutôt que de lire. On parle et on parle parce que dans aucun des livres que je trouve, il y a l'accent de mômes de Chicoutimi. On parle des livres parce qu'il faut se comprendre.
Les profs ici sont les mêmes qu'ailleurs. Les questions sur l'école pareilles à celles de Mets-yl-doigt-dessus-ya-untrou. On rigole beaucoup à Chicoutimi et le temps passe très vite. Faut pas que ça soit plate, faut qu'y ait du fun sans quoi les yeux des enfants partent vite dans les bois des alentours retrouver les lutins ou les pistes de neiges pour essayer les dernières planches.
" Un prof ça compte pour qu'éclate les passions " m'a dit un poche de l'école Vanier. Il a mis du temps à me le dire, parce que c'est épeurant de parler.
Heureusement, on a rigolé et j'ai rempli plein de pages. Donc je me dis que ça ne devait pas être dôle.
Sur les murs de l'école, quelqu'un à marqué : "Dans mes bagages…du courage, de la solidarité et de la bonne humeur."
Moi dans mes bagages, il y avait des gants, des pulls, beaucoup de questions. Les élèves des écoles de Chicoutimi ont rempli mes bagages de courage, de bonne humeur et de la certitude qu'il y aura toujours des poches et des têteux. Les enseignants québécois ont la chaleur du cœur, la poignée de main solide et le rire franc. Léon, Lise, Michèle, France, Marie et j'en oublie, tous prof à Chicoutimi, tous présents pour que les enfants de demain puissent encore entrer dans un livre et en sortir plus forts. Entre deux cafés dégueulasses copiés sur le modèle américain, ils ont même pris le temps de me montrer que sous le blanc, là, juste sous la neige, caché, prêt à sortir, prêt à exploser, il y a le printemps.
Moi je ne le verrai juste pas et il me reste le temps de refermer mes valises pour repartir dans l'autre sens.
Reste que je sais déjà une chose que tous les enfants de Chicoutimi m'ont demandé
:
"Comment que tu vas l'appeler ton livre ?"
J'ai pas pu répondre. Avant je ne savais pas. Ce soir, j'ai écrit le titre;
mais je ne le dirai pas, ce sera un secret entre l'ordinateur et nous.
Le livre s'appellera "Jusqu'où les eaux sont profondes"
Chicoutimi, mars 2001
Jean-Jacques Busino
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